Mon regard a toujours été attiré par la structure organique et graphique du vivant. Dans mes 1res peintures, je m'en suis inspirée en mélangeant eau et pigments gras créant ainsi des réactions chimiques; des paysages aquatiques imaginaires de bulles et de vagues en ont émergé, des magmas en mouvement ont fait surgir des forêts dont la forme des ombres résonnent avec celle de nos os et de nos vertèbres. Mon regard a voyagé, inspiré et fasciné par le miroir du macrocosme et du microcosme, dévoilant des structures si semblables dans des photos vues de satellites comme dans les agrandissements de cellules de tissu humain.
J'ai peint mon paysage intérieur, éphémère et mouvant, au-delà du regard conceptuel et réaliste posé sur les choses qui nous entourent, emportée par ma passion des couleurs et mes recherches d'harmonies. J'ai ensuite commencé à modeler la terre dans le cadre d'ateliers de sculpture. Exploration du corps humain et, à travers des portraits d'après modèles et des portraits d'imagination, j'ai été passionnée par la tentative de capter l'âme d'une personne, de faire transparaître les émotions de sa vie intérieure.
Le désir d'explorer d'autres gestes et d'autres matières a donné naissance à une nouvelle période de glanage, d'assemblage, de récupération, de détournement d'objets, toute à ma joie de composer et de transformer. J'éprouve le besoin de me relier au vivant, à la nature, la rendre présente dans mon lieu de vie et interagir avec les éléments lors de mes balades. Je me suis beaucoup intéressée au mouvement du Land-Art. J'ai créé des mobiles, des totems, des installations, des personnages hybrides, avec le besoin de réunir les mondes minéraux, végétaux, animaux : pierres , écorces, coquillages, plumes, graines, algues, branches... Les tissus sont arrivés d'abord timidement dans mes tableaux d'écorces peintes et traduits ensuite en peinture avec des petits morceaux de tissus colorés collés, alignés, recensés comme des trésors glanés et inventoriés. Par la suite, le désir de revenir au volume, de quitter les murs m'a amenée à investir le corps de mes créations. Porter l'art sur son corps. Éprouver le plaisir de traverser la fibre textile, la coudre, la broder dans la conscience du geste, la tête vide, les mains concentrées sur la trame d'un temps qui s'étire. Dans ma recherche de composer une harmonie entre formes, matières et couleurs, j'ai crée des bracelets-manchettes, des col-colliers, des ceintures de hanches, autant de parures entre vêtement et bijoux ainsi que des vestes customisées et des chasubles-tabliers.
Coudre, c'est un un peu coudre une 2ème peau, une frontière entre moi et les autres. C'est aussi une façon de rassembler des morceaux épars et multiples de mon être, de me ravauder pour tendre vers une sensation, un sentiment d'unité intérieure. Une manière de tisser des liens avec le fil de ma création, de ma fantaisie, avec les couleurs de mon âme pour partager mon goût de la beauté, et ces tissus glanés ou offerts me donnent, la sensation de coudre, de relier nos histoires.
J'ai pris conscience à la vue de ce chemin parcouru que toutes ces traces laissées dans l'argile, l'empreinte de mes mains, de mes émotions, ce travail d'assemblage avec les écorces et les tissus ne sont que nécessité de me relier à la fibre du vivant, de participer au jeu de la création. Il est question de travailler sur cette frontière symbolique que sont la peau, les écorces, les tissus pour tenter de communiquer, mettre en dialogue mon monde intérieur avec celui des êtres qui m'entourent. Travailler sur cette frontière de vie entre dedans et dehors.
Une résonance certaine s'est également établie dans mon travail avec la découverte du concept japonais wabi sabi: un objet réparé (par exemple un bol à thé fendu et réparé avec de l'or) acquiert plus de valeur qu'à son origine. Il s'agit de remettre en question notre vision de la valeur et de la beauté des choses. Je porte par ailleurs beaucoup d'intérêt à l'esprit des boros (vêtements rapiécés de paysans et pêcheurs japonais): ce processus d'usure, de transformation, de déstructuration et de recréation n'est autre que le mouvement de la vie même qui se transforme continuellement.
C'est à ce mouvement que je participe dans mon chemin artistique et je le vis sur tous les plans car il ne peut être séparé de mon cheminement intérieur. Cette tendance de plus en plus présente à récupérer, transformer, donner une 2ème vie aux choses nous invite à inverser notre comportement consumériste et adopter une attitude plus rayonnante par l'acte de créer, de donner plutôt que de prendre et attendre de l'extérieur.
Personnaliser, donner une âme aux vêtements est aussi ma façon de résister à l'uniformisation de plus en plus répandue.